
Au bureau, ma chef m’appelle Lucky Luke, et ce n’est pas pour mes paires de bottes ou mes gros ceinturons. J’ai toujours tenté de dégainer plus vite que mon ombre, je n’y peux rien, je suis née pressée. Enfant, je voulais être adulte. Comme tous les enfants, bien sûr. Mais un peu plus, sans doute. À 2 ans, je me levais tôt pour préparer mon petit-déjeuner seule, raconte-t-on en famille : « Toujours tout fait plus vite, plus tôt que tout le monde ». Qui préférerait s’entendre dire qu’il a toujours tout fait plus lentement, plus tard que les autres ? La vitesse parle de précocité, d’autonomie puis d’efficacité, de rentabilité… Elle soulage les parents, satisfait les employeurs, arrange les amis qui n’ont jamais à attendre aux rendez-vous. Aussi n’est-ce pas sans une pointe de fierté que j’admets être du genre rapide. Pour moi, être en avance c’est être à l’heure et, être à l’heure, c’est déjà être en retard. « Avez-vous une idée du retard que vous cherchez à rattraper ? », me demande un jour une psychanalyste. Le mot "retard" ne m’évoque rien d’autre que le lapin d’Alice au pays des merveilles. Toujours pressé. Évidemment, il a rendez-vous chez la reine : cela vous met plus d’un lapin en état d’urgence. Quant à ce verbe, "rattraper"… il n’y a guère qu’un écart qu’il me soit impossible de rattraper : les huit années qui me séparent de ma sœur aînée et admirée… Un de ces moments magiques de l’analyse où, soudain, le plafond se fendille et laisse apparaître une évidence. Viennent également sur le tapis de son cabinet mon inquiétude à l’idée de "rater quelque chose", la sensation insupportable de rester sur mes acquis, de voir le monde avancer tandis que je stagnerais, de "prendre racine", consciente qu’il y a là bien des angoisses à apaiser.
Je ne veux renoncer à rien

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